dimanche 18 décembre 2011

Les euro-obligations ou la BCE peuvent-elles sauver la mise

Le point de vue de Lombard Odier


La récente intervention coordonnée des banques centrales pour éviter une crise de liquidités mondiale, et l’échec de l’adjudication obligataire allemande du 23 novembre dernier ont constitué un nouveau signal d’alarme rappelant l’urgence d’une action de la part des décideurs européens. Quelles sont désormais les alternatives qui s’offrent à eux ?

Deux mesures ont été évoquées récemment :

  1. une intégration budgétaire plus poussée avec l’émission d’euro-obligations
  2. une implication plus importante de la BCE pour plafonner les taux de la dette souveraine

La Commission européenne (CE) vient de consacrer un document de consultation à la première option, à savoir les euro-obligations. La solution la plus faisable consisterait en l’émission d’euro-obligations en remplacement pur et simple des obligations nationales des pays de l’UEM. Ceci impliquerait une mutualisation des risques, "bonnes" et "mauvaises" dettes étant regroupées dans le même panier. Tous les pays membres seraient responsables de la dette des autres pays ("garantie conjointe") et chaque pays serait responsable de sa propre dette ("garantie solidaire"). La mutualisation des risques permettrait certes de restaurer la liquidité et de réduire les coûts de financement pour les pays en difficulté mais, contrairement aux attentes de la CE, nous pensons que cette mutualisation se traduirait aussi par une hausse des coûts de financement pour les pays vertueux comme l’Allemagne qui pourraient ainsi se retrouver dans une situation de risque de défaut dans la mesure où n’importe quel défaut serait alors celui de l’UEM dans son ensemble et non plus celui d’un pays individuel. En effet, dans la proposition de la CE, les Etats membres conserveraient leur souveraineté budgétaire et ne seraient soumis qu’à un contrôle des progrès réalisés dans la mise en œuvre des mesures conditionnelles de restauration de leur solvabilité. Or le Traité de Maastricht est la preuve qu’une intégration budgétaire reposant sur la bonne volonté des Etats membres est vouée à l’échec. De plus, l’émission d’euro-obligations, telle que l’envisage la CE, ne résoudrait en rien le problème sous-jacent de surendettement puisqu’il s’agit simplement d’une centralisation de la dette qui permettrait aux pays en difficulté de continuer à parasiter le système en profitant de taux d’intérêt bas et en repoussant les ajustements structurels indispensables pour restaurer leur viabilité budgétaire. Ceci risquerait même de créer une nouvelle forme de dette "subprime", avec des euro-obligations qui ne seraient pas plus sûres, mais qui auraient l’air plus sûres du fait du manque de transparence. En définitive, le manque de discipline dans les pays en difficulté pourrait accélérer la contagion de la crise des pays périphériques vers les Etats du cœur de l’Europe et, éventuellement, aboutir à un défaut de paiement au niveau de l’UEM. Il n’est donc guère surprenant que l’Allemagne s’oppose fermement à cette option. Selon nous, le seul moyen d’éviter l’aléa moral et le parasitisme de pays à problèmes continuant à profiter de taux bas serait une intégration budgétaire complète. Ceci impliquerait, de fait, la fin de la souveraineté budgétaire des Etats membres et la création d’un Trésor de l’UEM qui superviserait les questions budgétaires dans le cadre de règles de conditionnalité et de mécanismes de sanction efficaces pour assurer la viabilité des finances publiques à long terme. Toutefois, un tel système d’euro-obligations, bien que souhaitable à long terme, nécessiterait des modifications très importantes au niveau des traités et des institutions, ce qui prendrait du temps; il ne peut donc être considéré comme une solution à court terme pour contrer les risques systémiques.

Deuxième option : la BCE peut-elle sauver la mise ?

En rachetant des montants importants de dette souveraine sur le marché secondaire, la Banque centrale européenne a réussi à plafonner les taux obligataires pour les pays de l’UEM – les cas les plus récents étant ceux de l’Italie et de l’Espagne – mais sans toutefois enrayer la contagion. Sans surprise, plusieurs dirigeants, comme le Président Sarkozy, souhaitent un engagement plus fort de la part de la BCE. Ils entendent par là des interventions complètes de cette dernière, y compris à travers des rachats d’obligations illimités et non stérilisés, sur le marché secondaire et primaire, de manière à maintenir les taux d’intérêt en deçà d’un niveau prédéfini. Ceci entraînerait non seulement un gonflement important du bilan de la BCE, mais signifierait aussi que cette dernière s’engagerait dans une monétisation de la dette. Il faudrait dès lors modifier les statuts de la BCE puisque, selon ses statuts actuels, elle ne peut agir en tant que prêteur en dernier ressort pour les Etats membres. Cette mesure se heurterait par ailleurs à des problèmes politiques : l’Allemagne est farouchement opposée à de telles interventions, craignant qu’elles ne conduisent, à terme, à une hyperinflation si la liquidité excédentaire injectée n’était pas épongée à temps. Mais au-delà des considérations juridiques et politiques, les rachats de la BCE permettraient-ils aux Etats de disposer de suffisamment de temps pour rétablir leur solvabilité ou même résoudre la crise ? Nous ne le pensons pas. Dans la mesure où la BCE est à l’abri de toute décote (au même titre que toutes les institutions officielles comme annoncé dans le cadre du plan de sauvetage de la Grèce de fin octobre), nous pensons que les investisseurs privés relégués au rang de détenteurs d’obligations "de second rang" se retireraient de ces marchés obligataires après avoir réalisé que plus la BCE interviendrait, plus ils subiraient une décote, et ce, d’autant plus que leur nombre diminuerait. Dans ces conditions, l’interventionnisme de la BCE pourrait même exacerber la crise en faisant reposer tout le poids du financement des Etats sur la banque centrale – une situation intenable à moyen terme. Et, au final, le problème du stock de la dette (qui aura été transféré au fil des ans des entreprises, aux ménages, au secteur public et enfin aux banques centrales) ne serait toujours pas résolu. Un interventionnisme total de la BCE ne serait donc, selon nous, qu’une nouvelle mesure temporaire qui ne résoudrait pas la problématique de fond.

Si ni les euro-obligations, ni l’interventionnisme de la BCE ne sont des solutions durables pour sortir de la crise, que faut-il faire ?

Depuis longtemps, nous sommes en faveur d’une restructuration d’envergure de la dette tant publique que privée. Ce processus devrait avoir lieu sous la supervision d’une agence indépendante. Pour renouer avec des finances publiques saines à long terme, les réductions de la dette publique devraient aller de 70 % pour les pays les plus mal lotis (Grèce) à 10 % pour les meilleurs élèves (Allemagne). Pour les pays souffrant d’un surendettement privé lié à l’immobilier, comme l’Espagne, une prise de participation des banques dans le patrimoine immobilier des ménages surendettés (par le biais d’une conversion d’une partie de la dette hypothécaire en actif, de manière à réduire l’endettement total des ménages et à permettre une participation de banques à toute plus-value ultérieure sur le bien) pourrait être envisagée pour mettre fin au cercle vicieux des défauts de paiement et des saisies qui constituent un frein supplémentaire à une reprise économique durable.

Si nous restons convaincus que la restructuration de la dette est la seule solution à la crise actuelle, nous reconnaissons qu’un tel processus ne se fera pas sans mal : nous estimons en effet les besoins de recapitalisation des banques dans un tel cas de figure à plus de 400 milliards d’euros, sans compter que la BCE devra approvisionner le système en liquidités pour éviter les retraits en masse et la faillite des banques les plus fragiles.

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